"Les inégalités de revenus se situent au niveau d'avant la crise de 1929"
Selon une étude de l'Insee, les très hauts revenus ont augmenté beaucoup plus vite que les autres entre 2004 et 2007. L'analyse d'Alexandre Bourgeois, économiste chez Natixis.
L'Insee vient de publier une étude qui montre que, entre 2004 et 2007, les très hauts revenus ont augmenté beaucoup plus vite que les autres. Cela vous surprend?
Ce phénomène est en réalité bien plus ancien. Des économistes comme Thomas Piketty ou Camille Landais ont établi que la dispersion des revenus en France a progressé de façon significative, pas seulement lors des dernières années, mais depuis le milieu des années 1990. Moins qu'en Grande-Bretagne ou qu'aux Etats-Unis, mais le phénomène, désormais très bien documenté, ne peut plus être nié. La dispersion des revenus se situe aujourd'hui sensiblement au niveau d'avant la crise de 1929, avant la naissance de l'Etat-Providence.
Comment en est-on arrivé là?
La mondialisation joue un rôle très important. Dans une économie ouverte comme la nôtre, les salariés peu qualifiés sont mis en concurrence avec les travailleurs des pays émergents, ce qui, de fait leur interdit d'espérer des hausses de revenus significatives. Au contraire, les plus diplômés, ceux qui ont des compétences très pointues et très recherchées, parviennent à négocier des augmentations importantes, également parce qu'ils sont mobiles géographiquement. Le changement dans les politiques fiscales peut aussi expliquer la force croissante de la dispersion des revenus. Auparavant, la fiscalité était progressive : plus on était riche, plus on payait d'impôts. Aujourd'hui, le système fiscal français va davantage vers la proportionnalité, avec la suppression de plusieurs tranches de l'impôt sur le revenu ou le concept de bouclier fiscal. Ce dernier est présenté comme une évidence, mais on oublie que, pendant les Trente glorieuses, les taux d'imposition étaient bien plus élevés que 50%.
L'étude de l'Insee date d'avant la crise. Quel effet a eu cette dernière sur les inégalités?
Par définition, les plus atteints par la crise sont sans doute les gens qui avaient du patrimoine, mais ils n'ont été touchés qu'à la marge. Et les effets de la crise sont déjà derrière eux : les marchés actions sont repartis à la hausse, la chute de l'immobilier est terminée. Les causes structurelles à l'origine de cette très forte dispersion, elles, n'ont, en revanche, pas disparu. Il est difficile de prédire si on peut aller encore plus loin dans les inégalités. C'est une question politique, qui dépendra de l'acceptation sociale du phénomène.
par Thomas Bronnec (L'expansion)