Procès de la CFDT contre Ludo et Michel : le congrès de la centrale de Chérèque commence au tribunal
Un des juges commence par le rappel des faits et des condamnations en première instance. Le contexte est abordé : les intermittents du spectacles estiment que la CFDT a des comptes à rendre dans la gestion de l’indemnisation.
Michel : pour connaître la vérité il n’y a qu’à regarder les films : il y a des caméras partout au siège de la CFDT. Il y a eu une jeune fille brutalisée alors je suis intervenu. La dernière fois j’ai été considéré comme le meneur d’une cellule invisible ! C’était une invasion pacifique lors d’une journée portes-ouvertes. Le but était de rencontrer la direction de la CFDT qui gère les organismes sociaux. On a rencontré tous les syndicats, sauf la CFDT qui a toujours refusé.
Ludo : je suis rentré dans le bâtiment vers la fin. Le rendez-vous était fixé à 13h à République pour une action sur la précarité et fin de droits grâce aux accords signés par la CFDT. On prend le métro ; on sort à Belleville. On sait les problèmes qu’on a depuis la signature des accords UNEDIC en 2003, donc on sait où on va ... On veut rencontrer madame Thomas, vice-présidente CFDT de l’UNEDIC. Il n’y avait pas de sas à l’époque (il a été ajouté quelques temps après notre visite) et la porte était ouverte. Je suis rentré à la fin et j’ai monté les escaliers. Il y avait des gros bras de la CFDT avec des brassards « OUI au TCE ». Nous ne sommes pas allés dans les bureaux interrompre le travail, mais dans la cafétéria pour attendre la réponse à notre demande de rencontre. La police est alors arrivée et nous sommes sortis dix minutes après. On nous refuse la parole dans les médias traditionnels, alors on se sert d’internet. Je savais que la police me recherchait alors je l’appelle : « bonjour, je suis Ludovic Prieur, vous ne me connaissez pas, pourtant vous me recherchez ». Nous sommes tout à fait visibles, tranquilles et sommes entrés les mains dans les poches pour avoir un dialogue réel avec la CFDT qui signe des accords alors qu’elle ne représente personne chez les chômeurs et très peu chez les intermittents. Il n’y a pas eu de bousculade, mais des quolibets et des insultes de la part des gros bras de la CFDT : je me suis fait traiter de « fils de bourgeois ». Personne de la CFDT n’est venu nous voir pour nous demander de sortir. Un syndicat est un lieu où on peut venir pour obtenir des explications, ce que faisait mon grand-père dans les années trente. Je suis venu pour trois raisons : je suis un précaire ; je m’occupe d’un média alternatif ; je travaillais à la mairie de Paris aux affaires sociales. Je venais donc aussi les rencontrer professionnellement parce que l’accord UNEDIC a fait augmenter de 40% le nombre de Rmistes. Ils ne connaissent pas les conséquences de leurs actes et veulent faire condamner une occupation ... la CFDT a perdu les pédales ! Le Médef et l’UNEDIC occupés quelques temps avant n’ont pas porté plainte. Ils ne font que nous montrer leur mépris. Pourquoi n’y-a-t-il rien sur leur site internet aujourd’hui sur ce procès ? Pourquoi quand on pose une question à Chérèque, il ne répond pas ?
Michel : la CFDT utilise la novlangue d’Orwell : un citoyen est un consommateur, un usager est un client, syndicats et patrons sont des partenaires. Selon la définition du dictionnaire, des partenaires sont « des personnes avec qui on est associé contre d’autres dans un jeu ; une personne avec qui l’on pratique certaines activités ». Ainsi le partenaire Gautier-Sauvagnac fluidifie les rapports sociaux avec une caisse noire. La compagnie Jolie Môme est une troupe autogérée et nous gagnons tous et toutes la même chose.
Les six témoins de Ludo et Michel sont ensuite entendus. La CFDT n’a aucun témoin.
Aline Pailler (journaliste et ancienne députée européenne) : à la sortie du procès de première instance, où j’étais comme journaliste, j’ai été bousculée par des nervis à oreillette de la CFDT devant la porte du tribunal. Les salariés sont de plus en plus désespérés. Les « contis » sont venus soutenir les valeurs du journalisme alternatif et la compagnie Jolie Môme. Il y a un courant artistique et journalistique de précaires au coeur de ce que vivent les précaires et lui donne du sens. La CFDT est déloyale : même si on n’est pas d’accord il y a des principes. En effet, après l’occupation du toit du Médef il n’y a pas eu de plainte. Comme disait Michelet en 1848 : « mettez les arts dans les mains du peuple, ils deviendront l’épouvantail des tyrans ». L’avocat de la CFDT a dit la dernière fois que « les caissières paient pour les intermittents ». Ainsi il humilie les deux catégories. On connaît la solidarité de classe ; avec le débat sur les retraites on est au coeur de ça. Faire un délit de l’occupation non-violente d’un syndicat ? On nous ôte nos dernières armes. François Chérèque n’est pas là ? Il ne représente ni les intermittents, ni les précaires.
Jean Voirin (secrétaire général de la fédération CGT spectacle) : le mouvement des intermittents a concerné des dizaines de milliers de professionnels. Le 26 juin 2003, un accord remet en cause les droits des intermittents. Raffarin, alors premier ministre, déclare quelques mois plus tard : « en juin 2003 j’ai eu la chance d’avoir une signature sur les retraites en échange des intermittents ». Le rôle fondamental d’un syndicat est la solidarité et la protection des salariés. Je n’ai toujours pas compris quelle violence a été exercée ce jour-là. Je me suis rendu sur place une heure après le début de l’action et je suis rentré tranquillement. Que les salariés contestent la position des centrales syndicales est un droit constitutionnel.
Elisa (réalisatrice au RSA) : nous avions rendez-vous place de la République pour une action dans le cadre d’une campagne d’actions sur la précarité. Nous étions une centaine. J’étais à la fin du cortège et les portes de la CFDT étaient ouvertes. On explique aux salariés pourquoi on est là puis on monte dans les étages jusqu’à la grande salle. On avait rencontré la CFTC et la CGC pour leur exposer un autre modèle d’indemnisation et perturbé une réunion de la CGPME. Il n’y a pas eu de dialogue, on a été insultés ; la seule réponse a été d’appeler la police. Nous sommes sortis environ une heure plus tard par où nous étions rentrés et il n’y a pas eu d’interpellation.
Emmanuelle Cosse (ancienne présidente d’Act-up, vice-résidente du conseil régional d’Ile de France) : Ludovic Prieur et moi nous connaissons depuis 1997. Nous avons beaucoup milité ensemble sur les questions des droits pour les malades, les sans papiers, les précaires. Le militantisme consiste en l’élaboration de discours, d’argumentaires et d’actions non-violentes. J’ai participé à des occupations de sièges sociaux, de ministères. Membre d’Act-up depuis 1992, j’ai assuré le suivi des questions juridiques depuis 1993 et ai été présidente de 1999 à 2001. Nous avons organisé un grand nombre de happenings, de manifs, etc. Il n’y a jamais eu de poursuite !
Sorya (directrice de production) : j’étais au début du cortège. Les portes se sont ouvertes, je suis rentrée et il n’y a pas eu d’incident. On demande à rencontrer la direction de la CFDT en exposant les raisons, puis on va dans la grande salle. On reste sur place entre une et deux heures. J’ai affaire à une personne très grossière, qui fait une pression physique sur moi. Michel lui demande de se calmer puis est expulsé manu militari. Il n’y a pas eu d’incident avec l’hôtesse d’accueil et je ne comprend pas pourquoi Michel a été sorti comme ça.
René Dutrey (conseiller de Paris) : j’ai été l’employeur de Ludovic Prieur de 2005 à 2008 pour l’action sociale. C’est quelqu’un de structuré qui fait toujours preuve d’un contrôle absolu dans les situations délicates. Ludovic Prieur et moi avons été occupés à cinq reprises pour des questions liées au logement. Jamais nous n’avons appelé la police ! Si on nous occupait c’est parce qu’il y avait une carence de dialogue. Ce procès est une anomalie, les choses ne se gèrent pas comme ça !
Plaidoirie de l’avocat de la CFDT : avant d’aborder les faits je voudrais rappeler ce qu’est l’assurance chômage. Qui paye ? Lors de la première audience, un des témoins ne le savait pas ! Tout les deux ou trois ans, les organisations – les partenaires sociaux, quelle horreur ! - se réunissent, font un bilan des résultats économiques, des prévisions, des ajustements des paramètres du système car on ne peut pas distribuer de l’argent que l’on n’a pas. Quand on travaille on ne cotise pas pour son propre chômage. Tous les travailleurs salariés et les employeurs cotisent. Il y a quelques cas particuliers : les intermittents. Ils ont un régime préférentiel. En effet, quand il faut cent heures à un salarié du régime général, il en faut quatre ou cinq fois moins à un intermittent pour être indemnisé. La caissière de supermarché paye pour les intermittents : elle cotise plus et reçoit moins. C’est une vérité gênante pour quelques personnes. Quelque éléments d’une catégorie qui bénéficie d’un régime préférentiel qui lutte à chaque fois pour le conserver, voire l’améliorer. C’est un combat corporatiste. Salarié et employeur, monsieur Roger n’est pas subordonné. C’est une assurance que n’ont pas d’autres artistes (peintres, sculpteurs). On reproche à la CFDT de la réduire en connivence avec le patronat. Si la CFDT n’avait pas été là ce régime serait passé à la trappe. La CFDT est un syndicat représentatif. Eux sont un petit groupe d’individus ; que représentent-ils ? Pourquoi ne font-ils pas un syndicat, ne demandent pas à participer aux négociations, ne font-ils pas leur propre régime ? Ils ne le font pas parce qu’ils savent que ce régime ne peut se maintenir que grâce à la solidarité. Les troupes de théâtre devraient fermer, or il y a de plus en plus d’intermittents ! Sur les faits : on a des témoins de la vingt-cinquième heure qui nous racontent le roman d’une visite de courtoisie et peu de mémoire. Par hypothèse la CFDT a tort, fait donner ses « molosses, nervis ». Ils font un amalgame avec une organisation factieuse. L’entrée était libre car la CFDT n’est pas un bunker ; il y a des expositions d’artistes depuis plus de vingt ans. Est-ce que ça autorise à entrer de force et à menacer le personnel ? Pourquoi sont-ils montés jusqu’au septième étage ? Parce qu’ils n’ont pas pu entrer dans les couloirs. Il y a eu des manoeuvres : l’hôtesse a été tenue en respect, les portes ont été bloquées. Il y a eu des contraintes, des insultes, des sarcasmes. Pourquoi sont-ils venus ? On ne le sait pas ! La CFDT a porté plainte parce qu’elle est à l’aise, contrairement au Médef, pour rendre compte de son action et protège ses salariés qui sont entre 150 et 200. Un petit groupe venait devant la CFDT, depuis une éternité, tous les mardi déverser des sarcasmes et des tomates. Il fallait mettre un terme à ces agissements insupportables pour le personnel. Nous ne voulions pas faire appel et ne demandons qu’un euro de dommages et intérêts. Nous ne voulons pas criminaliser ce type d’action, mais une décision de principe. C’est un groupuscule qui n’a aucune légitimité, aucune représentativité, qui est insaisissable. Michel Roger est employeur et salarié et donne des leçons sur la précarité ! Je demande simplement la confirmation du jugement de première instance.
Réquisitoire de l’avocate générale : 50-100 personnes dans le siège de la CFDT, ce n’est pas l’objet, mais la violation de domicile. Y a-t-il une entrée en force ? Il faut introduction ou maintien dans le domicile d’autrui. Les locaux industriels, syndicaux sont assimilés à un domicile. Y a-t-il eu manoeuvres, voies de fait ou contraintes ? Les déclarations sont contradictoires. On s’en prend à l’agent d’accueil en l’empêchant de fermer l’accès aux portes. Il n’y a pas de vigiles : la sécurité des locaux est assurée par des permanents. L’un d’entre-eux est tiré, poussé, tombe, est piétiné et a un doigt cassé. Il est obligé de sortir Michel Roger de force. C’est un entrée normale ? Il y a bien eu contrainte et voie de fait. La loi est la loi ! Il y a des éléments caractérisés contre Michel Roger, il est coupable. Ludovic Prieur reconnaît lui-même, a décrit lui-même ce qu’il s’est passé le jour même (« dans la mêlée »). Quelle peine ? On est dans le symbole. Peu importe le combat que l’on mène, il y a des manières de le mener.
Plaidoirie d’Irène Terrel, avocate de Ludo et Michel : quelque chose me choque aujourd’hui. C’est stupéfiant ! La violation de domicile d’une personne morale absente et non-représentée. Un avocat nous fait un cours sur l’assurance chômage. Cela ne nous intéresse pas. La partie civile n’est pas là, même pas les « victimes ». Il y a un glissement dans cette affaire. Ils ne sont pas accusés du doigt cassé, c’est un fait postérieur. On passe d’une infraction à une autre dont ils ne sont pas accusés. Cela n’a aucun sens juridique. Oui c’est symbolique, ce n’est que politique ! Ces poursuites sont totalement abusives. Il y avait une centaine de personnes ; pourquoi poursuit-on ces deux-là ? Les témoins des faits ont été méprisés ; ils étaient là, présents. Ont-il été poursuivis ? Pourquoi eux ? On veut faire passer Michel Roger pour un meneur parce qu’il a lu le tract dans la rue. Il est comédien, directeur d’une compagnie, a l’habitude de ce genre d’exercice. Les déclarations sont contradictoires et le doute doit profiter aux accusés. Michel Roger a vu une jeune et frêle personne en difficulté avec des agents de sécurité costauds, peu aimables, pas conciliants. Il arrive, les fait se calmer et est considéré comme un meneur. Ludovic Prieur, parce qu’il tient un site d’information alternatif raconte cette occupation et se dénonce lui-même. Le juge d’instruction lui demande « vous êtes sûr que vous y étiez ? » Il répond « oui ». C’est très grave : la CFDT porte plainte sur plainte en ce moment. François Chérèque attaque et ne vient pas lors des procès. Le débat au sujet des accords UNEDIC devrait être en dehors du champ judiciaire. C’est un glissement grave. On veut faire passer une occupation pour une violation de domicile, alors que certaines sont pratiquées aujourd’hui par la CFDT chez Moulinex. Il y en a dans les usines, faites par les sans papiers, le DAL. C’est un outil de lutte reconnu comme tel par les syndicats. Act-up fait des actions très médiatiques et n’a jamais eu une plainte. On essaie de criminaliser les conflits sociaux : on veut vous faire jouer un mauvais rôle. C’est une occupation non-violente lors d’une journée portes-ouvertes ; c’est pour cela que le jour est choisit intentionnellement. Le site est un bunker : il est plein de caméras ; le sas a été construit après. Peut-être qu’à force de signer des accords, la CFDT a voulu prévenir d’autres visites ... Même quand il y a des dégradations lors d’occupations il n’y a jamais de plainte et ce n’est même pas le cas ici ! Il y a donc une volonté de criminaliser les conflits sociaux et un véritable mépris (« actions illégitimes, privilégiés »). Ludovic Prieur est au régime général, on ne peut donc pas réduire cette affaire aux intermittents. En droit cette affaire est irrecevable. Au départ il y a trois chefs d’inculpation : violence, vol d’une affiche faisant la promotion d’un livre de Chérèque et violation de domicile. Le délit n’est pas constitué au niveau matériel ou intentionnel. Les caméras ont enregistré les images ; Michel Roger demande à les voir, mais on n’a jamais pu voir ce film car il a été détruit par la CFDT. Selon la CFDT, la personne qui se casse un doigt est « poussée violemment et jeté à terre », alors que celle-ci dit qu’elle est tombée suite à un mouvement de foule. Il y a un acharnement dans cette procédure qui finit en peau de chagrin ridicule. C’est triste et scandaleux ; ça montre la dégradation des rapports sociaux et de ce qu’est un syndicat. Le 19 avril 2005 il y avait écrit « entrée libre » sur la façade. Or la philosophie de la violation de domicile est la protection de la vie privée, ce qui n’a rien à voir ici. La notion de domicile développée ici est contre la philosophie du droit. La jurisprudence est claire : il n’y a pas de violation quand le domicile est ouvert à tous vents. C’est pour cela que ce jour a été choisit : on ne voulait pas forcer les portes et avoir une altercation avec les vigiles. Ils demandent à rencontrer madame Thomas. Ils ont rencontré les responsables des autres syndicats, la CFDT se dérobe, refuse de rencontrer « ces gens là » et montre ainsi son mépris. Ils quittent alors volontairement les lieux, dans le calme, sans dégradation ni violence. La police massivement présente n’a pas bougé ; elle a juste eu un rôle de messager de la CFDT vers les précaires. Il n’y a eu ni manoeuvre, ni voie de fait. Il n’y avait pas de sas à l’époque. Deux thèses contradictoires s’affrontent : mes clients contre personne ! Selon le rapport de police il n’y a eu ni interpellation, ni contrôle d’identité ; l’évacuation des locaux s’est faite après concertation (on est loin des voies de fait) entre les manifestants et la CFDT. Pour une fois qu’un rapport de police conforte des prévenus ! Ils étaient suivis dès le départ par les RG. Il n’y a pas d’élément matériel de l’infraction. La blessure ? Le vigile est tombé par terre et s’est blessé. C’est postérieur à l’introduction et n’a rien à voir avec l’accusation. C’est un glissement juridique inconcevable. Les menaces ? Ils ne sont pas poursuivis pour menace. Menace de quoi ? De dialogue ? Peur de quelques intermittents qui viennent dialoguer ? La CFDT doit faire une psychothérapie ! Elle dit vouloir protéger les salariés ? Mes clients ne sont pas accusés de mise en danger des salariés ! Il n’y a pas d’élément intentionnel. Ils sont venus pour demander des comptes sans violence parce qu’il y avait des portes ouvertes. Cette procédure est un abus de droit. Votre décision aura une valeur symbolique : vous ne devriez pas être saisis et vous l’êtes, vous qui êtes garants de la liberté individuelle dans le pays. Ils sont corporatistes ? Jolie môme va jouer dans les prisons, pour les sans papiers, pour ceux qui luttent, qui sont en détresse. Votre décision est symboliquement importante. En effet il y a beaucoup de misère sociale, de précarité ; cela concerne des gens qui n’ont pas toujours le droit de grève. Il leur reste l’occupation. Ce procès est une première. Il faut que vous prononciez la relaxe. Vous êtes un rempart contre ce genre d’excès. Cette procédure est illégitime.
Jugement le 17 septembre.
Source Gachet, HNS-info
Photos de Tarbihlkasso