Quand le capital montre sa trouille
Mon cher camarade, nous sommes au moins d'accord sur un point : l'ennemi c’est le patronat. C’est un bon début, même si, ne serait-ce qu’eu égard à tous ces ex-salariés qui ont dû devenir « patrons » pour tenter d’assurer leur subsistance, je crois indispensable de préciser que l’ennemi c’est le capital. Si l’on veut éviter des désillusions, il est tout aussi indispensable d’examiner d’un peu plus près les autres éléments de ton affirmation.
Au temps de notre jeunesse, le mouvement ouvrier disposait d'organisations, au plan syndical et au plan politique, affirmant un contenu de classe dans les paroles et dans les actes. C'était l'époque où les luttes permettaient d'améliorer la condition du salariat. La calomnie était alors de règle pour l'adversaire de classe dont la domination était contestée.
Aujourd’hui, sommes-nous dans la même situation ? Il me semble qu'il faut replacer ce que publie le magazine Capital dans la situation globale de la lutte des classes dans la France actuelle, notamment en prenant en compte le divorce grandissant entre les « élites » syndicales et politiques de gauche d'une part, et le peuple de France d'autre part, divorce dont le refus de voter et le recul de la syndicalisation sont des reflets. Que cela plaise ou non, il faut bien reconnaître que ce divorce repose avant tout sur la pratique que le peuple de France a de ces organisations. Et que constate le peuple ? Qu'au plan politique comme au plan syndical, concrètement, l'abandon des références de classe place le capitalisme comme la fin de l'Histoire.
J'exagère ? Sans remonter au décret Sérol, ce socialiste français punissant de peine de mort quiconque était coupable d'activité communiste, quand des gens de gauche font une politique de droite... hein ? Tu n’as pas oublié ce ministre communiste de la gauche plurielle qui, après s'être félicité de la baisse du taux du livret A, nous expliquait que l'ouverture du capital d'Air France n'était pas la privatisation ? Tu n’as pas oublié le nom de ce premier ministre socialiste qui a envoyé l’armée française faire la guerre dans cet Afghanistan qui, depuis, est devenu le premier pays producteur de drogue ? Tu sais bien qu'il y a des gens de gauche dans l'actuel gouvernement Fillon présidé par Sarkozy ? Tu n’ignores pas que la façon dont notre CGT mène les luttes lui vaut les félicitations des sphères gouvernementales ? Donc, tu vois bien que ta définition de l’ennemi ne colle pas à la réalité.
Alors que la responsabilité des banquiers dans la crise monétaire n'est pas à démontrer, qui a fait pétitionner pour réclamer la nationalisation des banques, quand Sarkozy les renflouait à coups de milliards ? Personne. Et aujourd’hui, qui fait pétitionner pour qu'on touche aux profits des banques, dont tout le monde dit qu'ils sont scandaleux ? Personne. Ni l'appropriation sociale des moyens de production et d'échange, ni la fin du salariat ne sont mises à l'ordre du jour. Et pourtant...
Et pourtant, si en 2005, au lendemain du référendum qui a vu le peuple français rejeter le Traité constitutionnel européen, 61 % de nos compatriotes jugeaient négativement le capitalisme (sic), en octobre 2009, ils étaient 72 % à porter le même jugement ! Soixante-douze pour cent des Françaises et des Français de plus de dix-huit ans jugent négativement le capitalisme !...Et tiens-toi bien : il y a 0 (zéro) interviewé sans opinion.
Comment ce peuple de France pourrait-il se retrouver dans ces syndicats qui cogèrent, dans ces partis politiques qui ne mettent pas la fin du capitalisme à l'ordre du jour ? Et qui, pour empêcher la contradiction capital-travail d'occuper le devant de la scène et lui substituer la fausse contradiction gauche-droite, font dans le show médiatique (par exemple, le vote des militants communistes d’Aquitaine pour désigner la tête de liste aux élections régionales), cependant que les « partenaires sociaux » négocient... les reculs sociaux...
Évidemment, pour le capital en crise, la donne n'est pas du tout la même. Il n'a plus besoin de calomnier des organisations qui ne mettent plus en cause sa domination : le plus qu'elles lui demandent, c'est de se moraliser ! Mais comme il constate que la docilité des « élites » syndicales et politiques ne suffit pas à endiguer la montée de la conscience populaire, que les remous de classe ont même empêché Chérèque de se rendre au Congrès de la CGT, le capital, par organes de presse interposés, monte au créneau :
– Aux syndicalistes qui seraient tentés de renouer avec la lutte de classe, il rappelle qu'il ne manque pas de cadavres dans les placards... et il en sort quelques-uns. Et, dans l’article de Capital, les allusions à EDF sont là pour mettre les points sur les i à ceux qui auraient des difficultés à saisir le message. Les bénéficiaires de la caisse noire de l’UIMM n’ont qu’à bien se tenir : au pied, couché !
– Aux salariés qui refusent que le capitalisme soit la fin de l'Histoire, le capital dit : pas la peine de lutter ! Non seulement les dirigeants syndicaux sont d'accord avec nous sur l'essentiel, mais quand ils sont eux-mêmes patrons, voyez comment ils se comportent... Vous n’avez plus qu’à vous résigner et obéir.
Mais, le capital monterait-il au créneau s’il ne se sentait pas menacé ? S’il n’avait pas peur ? Et de quoi peut-il bien avoir peur en l’absence de perspective politique et de mouvement syndical de masse ? Mais peur du mouvement social, de ces 72 % de Françaises et de Français qui jugent le capitalisme négatif ! Tu ne sens pas ces odeurs révolutionnaires qu’humait déjà Villepin l’an passé ?
Alors, ce ménage, on le fait ? On met nos orgas au niveau de la conscience et des attentes populaires, ou on se vautre devant le veau d’or ? Il paraît que le pied du mur a été inventé pour qu’on y voie le maçon...
Jean-François Autier, ajusteur mécanicien,
cheminot retraité, syndiqué CGT depuis 1963.
Le courage, c'est de chercher la vérité et de la dire. Jean Jaurès