Zanon,école de la planification ouvrière.

Publié le par CGT PHILIPS EGP DREUX

Après la crise de 2001 en Argentine, de nombreuses usines ont été occupées par des ouvriers et des ouvrières, refusant de subir licenciements et restructurations sans réagir. Aujourd’hui, dans la guerre de classe qui nous attend  et face à la crise dont l’épicentre est en Europe mon séjour en Argentine aux cotés des travailleurs et travailleuses de Stéfani, Kraft, des cheminots de Buenos aires ect et mes rencontres avec des révolutionnaires  d’Amérique du Sud a été pour moi une grande expérience et bénéfique d’enseignement.

Cependant, le plus fort de ce séjour ne fût pas mon élocution face à 3000 personnes à Buenos aires, même si celle-ci a été une émotion puissante,  mais bien à l’aéroport de Neuquén en Patagonie où m’attendait Raul Godoy afin de me faire découvrir ces hommes et femmes qui ont mené une des expériences les plus ambitieuses : relancer la production tout en exigeant la nationalisation sous contrôle ouvrier de l’usine Zanon rebaptisée  Fasinpat «  fabriqua sin patrones».

 

 

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Zanon, après l’expropriation de l’usine, la lutte continue

Votée le 12 août 2009, la Chambre des Députés de Neuquén a approuvé un projet d’expropriation et sa nationalisation sous contrôle des travailleurs de Fasinpat (Ex Zanon) présenté par l’Exécutif provincial. A partir du vote favorable, les travailleurs ont obtenu certes une victoire, mais celle-ci n’est pas complète pour les ouvriers céramistes.

Il n’en reste pas moins que leur lutte a laissé, laissera et continue à laisser des traces fortes au sein de l’avant-garde de classe argentine et au-delà. C’est avec tout un héritage que les Zanon ont renoué au cours de ces dernières années, celui de la démocratie ouvrière, de la combativité, de l’auto-organisation, antibureaucratique, anti-patronale et anticapitaliste. C’est notamment leur syndicat, le SOECN, dont les statuts ont été réécrits en 2005, qui leur a permis de mener ce combat et de le propager en direction des autres secteurs ouvriers combatifs. C’est aussi leur pratique quotidienne, sur Zanon mais également dans les autres usines de la branche céramiste de la province de Neuquén, qui a permis d’ancrer dans la conscience ouvrière ce souci constant d’une démarche fondée sur l’indépendance de classe et la démocratie par en bas.

 

A un moment où la crise capitaliste semble redoubler d’impact en Europe et où la Grèce semble prononcer à quoi nous devons nous préparer, les leçons que l’on peut tirer du combat de Zanon sont extrêmement précieuses. Certains camarades de l’usine se rappellent encore comment en 2001, alors que les ouvriers occupaient le parvis de l’usine à la suite de l’annonce du plan de licenciements et que le chômage touchait près du tiers de la population active en Argentine, Raúl Godoy, un des principaux dirigeants du SOECN et militant au PTS (Parti des Travailleurs pour le Socialisme, section argentine de la FTQI), faisait le tour des petits groupes d’ouvriers qui montaient la garde devant les grilles en leur montrant une vieille brochure polycopiée. Il s’agissait d’un témoignage sur l’expérience de Lip en 1973, à Besançon. « C’est loin, tout ça, disaient les ouvriers ». « Et puis ça s’est passé en France, ici on est en Pata­gonie », répondaient d’autres travailleurs qui quelques mois plus tard allaient non seulement occuper leur usine mais également la remettre en marche. L’expérience se poursuit encore aujourd’hui, avec 470 travailleurs, prés de la moitié embauché à salaire égal après le début de l’occupation parmi les mouvements chômeurs et les communautés Mapuches notamment, montrant la puissance de la classe ouvrière si elle venait à se rapproprier l’instrument de production en expropriant les expropriateurs, non pas seulement à l’échelle d’une petite usine, mais de la société entière.

 

 

 De la défense  de l' emploi à l'auto-organisation

L’expérience de Zanon est née en plein milieu de l’énorme crise économique qui a secoué l’Argentine en 2000-2001. L’économie était entrée dans une profonde récession, les licenciements s’étaient multipliés, les usines avaient été fermées les unes après les autres, les travailleurs s’étaient retrouvés sans rien, l’État avait été en cessation de paiement. Les travailleurs de Zanon, après s’être réapproprié leur syndicat, puis le syndicat des céramistes de la province à la fin des années 90, ont commencé à lutter pour de meilleurs salaires et conditions de travail pour tous les ouvriers. Le patron, Luigi Zanon, prétendait qu’il était impossible de satisfaire ces exigences. Mais les travailleurs ne se sont pas laissé tromper. En réponse aux revendications maintenues, le patron décida d’intimider, puis de licencier 380 ouvriers, enfin de pratiquer un lock-out pour briser la résistance. Au moment même où de grandes mobilisations contre le pouvoir central secouaient le pays, les travailleurs répondirent en occupant l’usine. Ils justifièrent cette occupation devant l’opinion publique en expliquant avoir besoin de ce gage pour garantir le paiement de leurs arriérés de salaires, en soulignant que le patron avait bâti son entreprise grâce à des fonds de l’État au début des années 1980 sans jamais les rembourser par la suite et en indiquant vouloir éviter que les machines ne soient retirées de l’usine. Ils avaient refusé qu’on leur fasse payer la crise du capitalisme argentin. Pourtant, beaucoup se demandaient : où allons-nous comme cela ? Nous avons occupé l’usine, mais maintenant qu’allons-nous faire pour nourrir nos familles ?

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Une usine moderne peut très bien fonctionner sans patrons ni contremaîtres

Les travailleurs de Zanon ont à nouveau prouvé dans la réalité que les travailleurs sont parfaitement capables de gérer eux-mêmes la production dans une usine moderne. Le patron était parti, les ingénieurs aussi, pourtant les ouvriers ont réussi à remettre l’usine en marche. Ils se sont montrés capables de gérer « une usine de 80 000 mètres carrés et d’une haute complexité : ils coordonnent les 36 secteurs de l’usine, assurent la fourniture de centaines d’ingrédients différents, se chargent de la commercialisation et de la distribution des produits ». « Le commandement capitaliste a été remplacé par la gestion ouvrière collective. Libérés du fouet des patrons et des contremaîtres, les ouvriers céramistes ont mobilisé leur intelligence et leurs talents pour créer de nouveaux produits, augmenter la production, réduire les coûts », créer 210 emplois et abaisser de 90% les accidents du travail. En ce sens, c’est « une véritable école de la planification qui montre la capacité de la classe ouvrière à organiser rationnellement la production ». Mais tout cela n’aurait pas été possible sans une intervention politique du PTS (Parti des Travailleurs pour le Socialisme, section argentine de la FTQI), dont les militants ont réalisé un lent et patient travail préalable au sein de l’usine, rendant possible la récupération du syndicat, pour féconder la spontanéité ouvrière en l’aidant à trouver le chemin d’un programme de transition à mettre en œuvre concrètement à l’échelle de la province. En voici quelques éléments clés.

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Unité de la classe ouvrière et coordination

Dès qu’il a été arraché à la bureaucratie, le syndicat de Zanon a eu pour orientation de lutter pour que les travailleurs en CDI et les travailleurs en CDD finissent par avoir les mêmes droits. De même, il a toujours lutté aux côtés des mouvements de chômeurs pour le droit à un vrai travail. C’est pourquoi, dès que la situation économique de l’entreprise l’a permis, les ouvriers de Zanon ont incorporé à l’usine des dizaines de militants des mouvements de chômeurs. C’est dans le même esprit que les travailleurs de Zanon ont été à l’initiative de la mise en place de la Coordination Régionale de l’Alto Valle, structure regroupant des sections syndicales combatives de la Fonction Publique comme du privé, des mouvements de chômeurs, des partis d’extrême gauche, constituant ainsi un pôle de regroupement alternatif à la bureaucratie syndicale.

L’indépendance de classe

Les travailleurs de Zanon, après avoir récupéré leur section syndicale, ont arraché le syndicat des céramistes de la province de Neuquen (le SOECN) à la bureaucratie. Ils ont inscrit comme un point fondamental dans ses nouveaux statuts la totale indépendance de classe : « Le SOECN s’oriente et base sa pratique sur la lutte des classe et sur les principes du syndicalisme de classe, en maintenant sa pleine indépendance par rapport à l’État et à ses institutions, par rapport au gouvernement et à toutes les organisations patronales. Le SOECN reconnaît que la classe ouvrière n’a pas de frontières. Nous sommes les frères des travailleurs et des peuples opprimés d’Amérique Latine et du monde (…). Le SOECN livre une lutte conséquente pour les intérêts légitimes de la classe ouvrière en alliance avec les autres secteurs populaires, en cherchant à élever la conscience de classe des travailleurs et à atteindre une société sans exploiteurs ni exploités. »

L’alliance des ouvriers avec les enseignants et les étudiants de l’université

L’un des points clés pour remettre en marche l’usine et développer la production a été la mise en place d’un pacte d’unité entre les ouvriers et les enseignants et étudiants de l’université nationale du Comahue. Ces liens ont pu se nouer car les ouvriers de Zanon, au lieu de s’enfermer dans leurs problèmes particuliers, ont lutté aux côtés des enseignants et étudiants qui, en pleine crise économique, étaient confrontés à une réduction drastique du budget de l’université par le gouvernement. C’était logique, car laisser se dégrader l’enseignement public aurait été laisser se dégrader l’enseignement de leurs enfants. Réciproquement, les enseignants et étudiants ont lutté pour la défense de l’occupation et de la gestion ouvrière. Ils ont mis leur savoir au service des ouvriers pour la maîtrise du processus de fabrication, pour la réparation des machines, pour la tenue de la comptabilité, pour la prévention des accidents du travail, etc.

Mettre FaSinPat au service du peuple travailleur

Les ouvriers de Zanon ont aussi montré que seule la gestion ouvrière rend possible de mettre l’usine au service du peuple travailleur, dans toute la mesure du possible quand la coopérative reste soumise aux contraintes de l’économie capitaliste. Profitant des capacités d’anciens ouvriers du bâtiment, devenus chômeurs, entrés à l’usine, ils ont lutté aux côtés des habitants des quartiers pauvres de Neuquen pour obtenir du gouvernement de la province qu’il s’engage à mettre le personnel médical nécessaire dans un dispensaire qu’ils s’engageaient à construire gratuitement. Chaque mois, FaSinPat donne 1000 mètres carrés de céramiques aux hôpitaux, aux écoles, aux cantines pour enfants et aux familles les plus pauvres de la ville. Les enfants de toutes les écoles sont invités à visiter l’usine. Dans ses locaux, des concerts et autres manifestations artistiques sont régulièrement organisés. Cependant, pour que l’usine puisse être pleinement mise au service du peuple travailleur, il faudrait un plan de travaux publics dirigé par les travailleurs eux-mêmes. Or cela n’est possible qu’avec la prise du pouvoir par les travailleurs.

« pour nous c’est extrêmement encourageant de voir ce qu’ont fait les camarades de Philips Dreux ( Raul Godoy) »

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Si Lip et Besançon semblent aujourd’hui si proches aux travailleurs de Zanon le message qu’ils nous envoient a une portée qui va bien au-delà des frontières de la Patagonie argentine : « zéro licenciement, usine qui ferme, usine qu’il faut occuper et faire marcher sous contrôle ouvrier ! ». Voilà le slogan des ouvriers de Zanon après 2001. Il s’agit-là d’un slogan d’une brulante actualité en France actuellement. Les ouvriers et ouvrières de Philips Dreux en ont fait l’expérience quelques jours en janvier 2010, avec l’impact que l’on sait comme dit Raul Godoy « pour nous c’est extrêmement encourageant de voir ce qu’ont fait les camarades de Philips Dreux (Raul Godoy) ». Quelle ne serait pas la portée d’une telle revendication si les travailleurs et les travailleuses licenciés commençaient à la porter collectivement… Après l’expropriation de Zanon, la lutte continue donc. En Patagonie argentine comme ici.

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